L’essor inexorable du « Quick Commerce » en Afrique

Depuis une dizaine d’années, une nouvelle vague de commerçants a fait son apparition. 100% digitaux, 100% livraison : ils promettent de vous apporter vos courses, à la maison ou au bureau, en un temps record (généralement, moins de 30 minutes). Les marchandises sont stockées dans de petits entrepôts urbains, qui servent de point de ralliement à une armada de livreurs en vélo ou scooter. On les appelle les « quick commerçants ». Les premiers sont apparus vers 2015 mais, pour l’essentiel, ce sont des enfants de la pandémie. Alors que les clients étaient bloqués chez eux, les acteurs du « quick commerce » ont subitement pullulé, promettant d’éliminer la corvée des courses comme l’illustrent ces images ci-dessous des livreurs de Yum-Yum.

En Europe et aux USA, beaucoup ont échoué. Le coût élevé du travail et des loyers, ainsi que la réticence des élus locaux, ont eu raison de ce modèle économique très intense en main d’œuvre. Cajoo, Gorillas, Getir, Buyk, Fridge No More, Weezy, Dija ont disparu ou se sont repliés sur des zones géographiques limitées.

En Asie et en Amérique Latine, en revanche, le modèle a prospéré. L’Inde constitue un bon exemple de réussite : les leaders du secteur (Blinkit, Instamart, Zepto) livrent près de 5 millions de commandes par jour pour un chiffre d’affaires cumulé attendu à plus de 7 milliards de dollars en 2025.

Partout, sur le continent, émergent des startups qui veulent adresser ce nouveau marché. Elles ont pour nom : Breadfast et Rabbit en Egypte, Mano, FoodCourt et GoLemon au Nigeria, Presto Eat en Libye, Checkers Sixty60 et Mr. D en Afrique du Sud, etc. Les applications Glovo et Yassir livrent également des courses dans plusieurs pays du Continent.

Un premier acteur est apparu dès septembre 2019 (Bringme.sn), suivi par un deuxième quelques mois plus tard (taftaf.sn). Jumia a également tenté sa chance avec son service Jumia Food Mart, avant de décider d’arrêter toutes ses activités de livraison alimentaire. Enfin, depuis 2022, l’application algérienne Yassir a pénétré le marché avec Yassir Market.

D’après nos estimations, les acteurs de ce marché engrangent plus de 5 milliards de F de chiffre d’affaires annuel, représentant environ 3 % du marché de la distribution moderne à Dakar (~150 milliards de F CFA). C’est peu, mais leur croissance est extrêmement rapide : quasiment un doublement chaque année. A ce rythme, le « quick commerce » pourrait représenter 10% du marché de la distribution moderne à Dakar dans quelques années. Car les clients valorisent énormément ce nouveau service : accéder, depuis chez soi, à un catalogue de plusieurs centaines de références (jusqu’à 1 100 pour le leader du secteur), livrées en quelques minutes, c’est une expérience gratifiante. Au début, on commande quelques glaces ou des chips ; puis on se dépanne avec quelques produits alimentaires ; et on se retrouve, quelques mois plus tard, à faire la moitié de ses courses en ligne.

Cela dépendra beaucoup des stratégies mises en œuvre. Si les « quick commerçants » continuent d’élargir leur catalogue, tout en adoptant des politiques tarifaires plus agressives et en maintenant leur qualité de service : ils deviendront de redoutables concurrents pour les supermarchés traditionnels. Les clients consommeront différemment (achats plus fragmentés), mais ils se détourneront progressivement du parcours de courses traditionnel. Jusqu’à présent, les supermarchés établis au Sénégal n’ont pas vraiment réagi. Le leader, Auchan, propose, depuis 2020, un service de commande en ligne et de livraison à domicile. Toutefois, les temps de livraison sont nettement plus élevés (environ 3 heures), de même que les contraintes associées au service (impossibilité de se faire livrer le jour même si on commande après 15h, par exemple).

Le groupe DAMAG, qui regroupe les enseignes Casino, Super U et Utile, de même qu’EDK Low Price, n’ont jamais investi le canal digital : jusqu’à présent, le seul moyen d’acheter des produits vendus par ces magasins consiste à se rendre sur place pour remplir son caddie.

CFAO Retail (enseignes Carrefour et Supeco) et Hypermarché Exclusive ont tenté des partenariats avec des applications de livraison (Jumia Food pour Exclusive, Yassir pour CFAO). Toutefois, le résultat semble avoir été mitigé, du fait des contraintes inhérentes à une telle association (l’application de livraison n’a pas de visibilité sur les stocks du commerçant, ce qui engendre de nombreuses ruptures).

Ainsi, les « quick-commerçants » ont le champ relativement libre. Les facteurs démographiques et sociologiques jouent en leur faveur :

  • A mesure que la ville se densifie, les embouteillages entravent la mobilité urbaine, rendant la livraison à domicile encore plus pertinente (cf. photo ci-dessous ;
  • Les nouvelles générations de clients sont « digital native » : commander en ligne est la normalité, se déplacer en magasin est l’exception

En conclusion, l’essor du « quick commerce » paraît inexorable. La principale question repose sur la capacité des acteurs existants à monter en puissance sans dégrader leur qualité de service. S’ils y parviennent, les supermarchés traditionnels ont du souci à se faire !


Article de sensibilisation réalisé par M. Jean Noel ROFFIAEN, Co-gérant de YUM-YUM SARL , spécialiste du commerce en ligne et de la livraison à domicile en Afrique.

L’intégralité de ce magazine est à télécharger gratuitement en pdf.


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