Chaque octobre, le monde s’unit autour d’Octobre Rose pour sensibiliser au dépistage et au traitement du cancer du sein. Si, globalement, les progrès en détection et en traitements ont sauvé des vies dans de nombreuses régions, l’Afrique, et en particulier des pays comme le Sénégal, continue d’affronter des défis majeurs : montée des cas, mortalité élevée, diagnostics tardifs et obstacles financiers importants. Ci-dessous un état des lieux chiffré, puis des pistes d’action concrètes impliquant entreprises, associations et décideurs publics.
Quelques images de la mobilisation organisée par la Ligue Sénégalaise contre le Cancer. Source : LISCA
Au niveau continental : selon les estimations récentes de l’IARC / GLOBOCAN, le cancer du sein est l’un des cancers les plus fréquents chez la femme en Afrique. En 2020, on estimait environ 186 600 nouveaux cas et 85 800 décès attribuables au cancer du sein en Afrique ; la charge de morbidité augmente et la mortalité reste élevée comparée aux régions plus riches, en grande partie à cause des diagnostics tardifs et de l’accès limité aux traitements.
Au Sénégal : les estimations nationales et régionales (GLOBOCAN / observatoires du cancer) indiquent que le cancer est une cause majeure de mortalité, avec le cancer du sein figurant parmi les premières causes d’incidence chez les femmes. Les fiches pays indiquent des centaines, voire quelques milliers de cas annuels selon les estimations et un taux de mortalité significatif, reflétant le retard diagnostique et l’accès limité aux soins oncologiques spécialisés. (Voir fiche GLOBOCAN Sénégal pour chiffres par année et détails).
Quelques chiffres inquiétants de la LISCA :
Un diagnostic de cancer entraîne des examens (biopsies, imagerie), puis une cascade de traitements (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, traitements ciblés) et des soins de support. Quand les ménages paient « au guichet », beaucoup retardent ou abandonnent les soins faute de moyens. Les données sur la part des dépenses de santé payées par les ménages confirment que le fardeau financier est réel et pèse davantage sur les plus vulnérables. World Bank Open Data+1
Quand les soins sont payants, ce sont les personnes les plus pauvres qui arrivent le plus souvent en stade avancé, d’où une mortalité plus élevée. Rendre les soins gratuits (ou garantir une couverture complète via un système national d’assurance universelle) réduit ces inégalités et permet des diagnostics plus précoces, quand la chance de guérison est beaucoup plus élevée.
Sur le plan macro-économique, financer la gratuité ou une prise en charge accrue n’est pas seulement une dépense : c’est un investissement. En réduisant les formes graves et les décès prématurés, on diminue la perte de productivité, l’appauvrissement des familles et les coûts plus élevés des traitements tardifs. À long terme, la santé de la population soutient la croissance et la stabilité sociale.
Plusieurs options existent : extension des mutuelles, renforcement d’un régime national d’assurance maladie, prise en charge prioritaire des pathologies à fort impact social (dont le cancer du sein) dans les budgets nationaux, et partenariats de financement avec le secteur privé et les bailleurs. L’urgence est réelle : sans allégement financier, les campagnes de sensibilisation perdent de leur efficacité si les patientes savent qu’elles ne pourront pas se soigner.
Les entreprises ont un rôle décisif éthique et pragmatique à jouer dans la lutte contre le cancer du sein. Leur action peut compléter et catalyser les efforts publics et associatifs. Voici des axes concrets :
Les entreprises peuvent déployer des campagnes internes d’information (ateliers, sessions de sensibilisation, distribution de documentation, journées de dépistage sur site ou en partenariat) pour promouvoir l’auto-examen, la connaissance des signes et l’importance du dépistage précoce. Une politique RSE bien conçue inclut la santé des employés comme priorité, ce qui réduit l’absentéisme et améliore la productivité.
Les entreprises peuvent proposer ou améliorer des couvertures santé (mutuelles d’entreprise) qui couvrent au minimum les examens de dépistage, les consultations spécialisées et une partie des traitements oncologiques. Là où les mutuelles existent, elles réduisent l’impact financier pour les salariés et leurs familles, un levier essentiel au Sénégal où les dépenses directes pèsent lourd. Les grandes entreprises peuvent aussi négocier avec des centres locaux pour obtenir des tarifs préférentiels pour leurs employés. (Les données sur le poids des dépenses des ménages montrent l’importance de réduire ce fardeau) (source : World Bank Open Data).
Les entreprises peuvent soutenir financièrement des campagnes publiques de dépistage mobile, acheter du matériel de diagnostic pour les centres de santé, financer des formations pour le personnel médical, ou encore soutenir la logistique (transports pour patientes venant des zones rurales). Le mécénat ciblé et les partenariats PPP permettent d’accélérer la mise à disposition d’infrastructures essentielles (imagerie, anatomopathologie, radiothérapie).
Les politiques RSE doivent être mesurées : nombre de bénéficiaires d’actions de dépistage, montant investi, indicateurs d’impact (dépistage précoce, suivi). La transparence crée de la confiance et favorise des collaborations plus larges avec l’État et le monde associatif.
Pourquoi c’est stratégique pour l’entreprise ? au-delà de la responsabilité sociale, ces actions réduisent les interruptions de travail, améliorent le climat social et renforcent l’image de marque, autant d’avantages indirects qui rendent la démarche durable.
Les associations et OSC locales sont souvent les premiers relais auprès des populations : elles connaissent les réalités locales, les barrières culturelles, et disposent de réseaux pour mobiliser.
Les associations spécialisées (par ex. la Ligue Sénégalaise contre le Cancer – LISCA) mènent des campagnes d’information, des conférences, des ateliers de sensibilisation et des actions de proximité qui démystifient la maladie et encouragent le dépistage. Ces initiatives sont cruciales pour lever les freins culturels ou liés à la désinformation. UICC+1
Les OSC accompagnent souvent les patientes : orientation vers les centres, soutien psychologique, aide à la constitution des dossiers administratifs et parfois aide financière ponctuelle. Elles jouent un rôle de « patient navigator » indispensable pour des patientes qui découvrent un diagnostic et se sentent perdues.
Les organisations de la société civile sont des acteurs de plaidoyer : elles peuvent demander une meilleure couverture nationale, l’instauration de programmes nationaux de dépistage, la gratuité ou la subvention des traitements, et surveiller la mise en œuvre des programmes. Leur voix renforce la pression pour des politiques de santé plus inclusives.
Les projets les plus efficaces combinent OSC (connaissance du terrain), entreprises (ressources financières/logistiques) et État (cadre réglementaire/prise en charge). Par exemple, des campagnes de dépistage mobile organisées en commun peuvent atteindre des zones rurales mal desservies.
Octobre Rose n’est pas seulement un mois de rubans roses : c’est une opportunité pour transformer la sensibilisation en actions concrètes et inclusives. Les chiffres montrent une charge croissante du cancer du sein en Afrique et un besoin urgent d’améliorer le dépistage et l’accès aux traitements au Sénégal. Les entreprises, les associations et l’État doivent agir ensemble : la prévention et la sensibilisation sauvent des vies, mais sans prise en charge financière des examens et traitements, les progrès resteront inégaux.
Rendre les soins gratuits (ou garantir une couverture effective) n’est pas un luxe. C’est une nécessité d’équité et d’efficacité sanitaire. Pour que l’impact d’Octobre Rose dépasse les discours, il faut des engagements mesurables, des financements concrets et la volonté politique de protéger celles qui, aujourd’hui, ont le moins de moyens. La lutte contre le cancer du sein est l’affaire de tous : entreprises, société civile et pouvoirs publics ont ensemble la clé pour transformer des diagnostics en espoirs.