Le développement des grandes surfaces locales au Sénégal incarne une volonté forte de souveraineté économique et de reconquête du marché de la distribution. Des enseignes comme Lekku Fii, Senchan, Elydia ou Low Price ont tenté de se positionner comme des alternatives aux géants étrangers, avec une stratégie fondée sur la proximité, l’ancrage territorial et la valorisation des produits locaux. Mais malgré une dynamique prometteuse, ces initiatives peinent à rivaliser avec la puissance du modèle déployé par Auchan, devenu en quelques années l’acteur de référence pour des millions de consommateurs sénégalais.
Malgré leur enracinement local, les enseignes sénégalaises font face à de sérieuses difficultés qui compromettent leur montée en puissance :
Face à ces limites, Auchan a su imposer un modèle commercial performant et adaptable, qui capte aussi bien les classes moyennes émergentes que les consommateurs plus modestes. Son succès repose sur plusieurs piliers :
Contrairement à certaines enseignes locales, Auchan a aussi su s’adapter aux habitudes culturelles des consommateurs (vente de plats cuisinés locaux, horaires élargis, segmentation des produits de base), tout en développant des stratégies marketing efficaces et une présence importante sur le digital.
La montée des grandes surfaces locales est souvent présentée comme un acte de patriotisme économique. Pourtant, en pratique, le rapport de force reste très inégal. Auchan bénéficie d’un capital économique, logistique et technologique difficile à égaler pour les entreprises sénégalaises encore jeunes, même celles qui, comme EDK, tentent d’étendre leur réseau via des acquisitions (Carrefour Market et Supéco).
Les enseignes locales peinent encore à fédérer une clientèle stable, au-delà des sentiments de rejet ponctuel des multinationales. Le pragmatisme des consommateurs sénégalais, qui recherchent des produits disponibles, abordables et de qualité, joue clairement en faveur d’Auchan, qui parvient à répondre efficacement à ces besoins, indépendamment des statuts sociaux ou de l’ancrage local.
Si les grandes surfaces locales sénégalaises ont ouvert la voie à une consommation plus ancrée territorialement, leur fragilité organisationnelle et financière, combinée à une logistique encore sous-dimensionnée, empêche pour l’instant une vraie rupture avec le modèle dominant.
Auchan, en maîtrisant toute la chaîne de valeur, de l’importation au stockage, en passant par la communication et l’expérience client, conserve une longueur d’avance écrasante. Tant que les enseignes locales ne renforceront pas leurs infrastructures, leur gouvernance et leur capacité à structurer des circuits courts solides, elles resteront en situation défensive, malgré leur légitimité symbolique.
Article de sensibilisation (issu des résultats de thèse) réalisé par : Malick MBOUP, docteur en Géographie, Chroniqueur scientifique et consultant freelance. Domaines de recherche : Pays en développement – Géographie du commerce – Grande distribution – Consommation – Circuit-court – RSE – DD – ESS